À mon père, qui sera toujours mon papa , à son 55e
jour de grève de la faim :
Tu n’as jamais été comme les autres pères qui ont l’opportunité
d’être proches de leurs enfants. Tu n’as pas été de ceux–là.
Mais les moments que tu as passés avec moi, tu les as vécu
intensément. J’ai beaucoup jouis de ces moments quand nous
nous trempions sous les jets d’eau qui coulaient du toit
lorsqu’il pleuvait. Tu te rappelles quand on peignait? Tu as
toujours préféré les figures humaines et les paysages alors
que moi, seulement les fleurs. Maintenant je m’ennuie même de
tes grondements et des tirages de jambes que tu me faisais pour
que je me lève et que je m’en aille à l’école. Je dois te
dire que si avant je me fâchais de te voir toute la journée
devant ton ordinateur et à écouter du new age,
maintenant c’est moi qui passe mon temps à écouter la
musique de Enya.
Je suis angoissé. On me dit que ta santé n’est plus celle
que j’ai connue, que tu es très amaigris, avec 17 kilos en
moins, et que même avec le sérum qu’on te donne dans l’aire
de thérapie intensive de la prison, ton organisme ne réagit
plus, qu’il n’accepte plus l’eau, que tu vomis du liquide
gastrique. Ta voix au téléphone n’est plus la même, elle
est chaque fois plus faible et tu tousses à tout moment.
Papa, je sais que si aujourd’hui tu t’en vas, c’est
parce que tu veux que tes frères et sœurs de lutte soient
libres. Et ça me fait profondément mal de ne pas pouvoir t’accompagner,
t’embrasser et te dire combien je t’aime. Tu dois savoir que
je suis avec toi, avec ma mère et avec les cinq prisonniers
politiques du centre de détention d’Acapulco, qui t’accompagne
aussi dans cette lutte pour la liberté. Tu dois savoir combien
je suis indigné que dans un pays où existe supposément le
respect aux droits humains et la liberté d’expression, ils
nous aient coupé la communication téléphonique quand je t’ai
demandé : As–tu un message à envoyer aux journaux? Tu
as seulement eu le temps de répondre : " je
remercie les manifestations d’appui… "
Tu te rappelles quand tu me demandais :
-Combien m’aimes–tu mon enfant?
-Comme toi tu m’aimes, papa, c’est comme ça que je t’aime.
Et si un jour je ne peux pas te voir, rappelle–toi, papa,
que comme tu aimes la dernière étoile, c’est comme ça
que je t’aime… et encore plus.
Ta fille qui sera toujours ta fille
Leonor Aracely